Musique pour quatre règnes
Naissance d’une architecture-site à travers une démarche de mycoremédiation
E(P)
Après la fermeture éventuelle de l’aluminerie Rio Tinto à Jonquière, seul un grand désert de résidus de bauxite restera, témoin d’un extractivisme révolu. Ce minerai, dont on a épuisé le potentiel monétaire, forme le «lac» de bauxite d’un diamètre de 1.5 km. Loin d’être un lac, ce plateau rouge s’élève aujourd’hui à une
cinquantaine de mètres environ. Il s’agit d’un endroit dont la fonction, soit de stocker une matière dépouillée de son potentiel profitable, engendre une exclusion programmée du monde des vivants.
Dans ce territoire épuisé, le projet vise la création d’un microbiome nourricier et régénérateur par un geste architectural. À travers la formation de ce microbiome, sur une échelle de quelques décennies, le projet permettra à plusieurs règnes vivants de participer à l’espace. Pour ce faire, le projet décline de plusieurs façons le tissage d’une toile de façon à créer un microclimat humide sur le site : ses degrés de densité engendreront une humidité à la racine d’un processus de succession écologique. Par sa nature, la toile définit des espaces mais elle est elle-même espace. En brouillant ainsi la notion de seuil, comme le mycélium brouille la notion de corps, la toile devient une typologie spatiale « fongique ».
Le geste spatial crée un habitat nourricier, mais il est également nutritif en soi, voué à la décomposition et la rouille. À l’image de la pensée fongique, le projet explore ce qui est en marge du terme « architecture » : au-delà du mince éventail de fonctions anthropocentrées qu’on peut lui attributer, l’architecture trouve un vaste territoire expressif. En engendrant un assemblage écologique là où il n’y en aurait autrement, on crée en quelque sorte une architecture-site, dont le point initial est défini mais dont l’évolution accueillera des degrés d’indétermination variables avec le temps.